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journal d'un curé de campagne à la campagne
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7 novembre 2014

J'ai lu pour vous : Jean Vanier, portrait d'un homme libre, par Anne-Sophie Constant

Charles de Foucaud voulait fonder son ordre et a rédigé les constitutions sans jamais voir de communauté, Jean Vanier n’a rien voulu fonder et il a vu la communauté grandir sous ses yeux ! Ce fut sa manière à lui d’être « disponible au plan de Dieu ». Et alors celui qui a renoncé à la marine voyage bien plus qu’un marin, lui qui a renoncé à l’enseignement au Canada enseignera désormais dans le monde entier, lui qui a renoncé à la prêtrise devient un maître spirituel. Il avait tendance à vanter l’Arche ( !) mais comme il considérait qu’il n’en n’était pas le fondateur … anecdote révélatrice : devant s’improviser infirmer pour des piqûres, il s’entraîna tout un soir sur une orange !

La relation bien connue avec le Père Thomas-Philippe fut au début fusionnelle, puis difficile et même tendue quand l’arche se développe, mais cette tension se révèlera finalement féconde, comme les racines et les branches qui poussent dans deux directions opposées et qui font l’arbre beau ! Il faut ajouter, à la lecture du livre, que, d’une manière analogue, fécondité et souffrance de Jean Vanier semblent aller de pair dans cet arbre qui aujourd’hui impressionne par sa taille : l’itinéraire fut compliqué et parfois torturé.

Le Père Thomas-Philippe aura du mal à accepter le tour interreligieux et œcuménique que prendra l’Arche dès le début. Il faut préciser que Jean Vanier sera fort impressionné par l’exemple et l’enseignement de Gandhi à l’occasion de la fondation en Inde et que jamais la division entre chrétiens n’a pu empêcher la constitution d’une Arche ; pas de syncrétisme pour autant, chacun restant ce qu’il est à priori, puisqu’il s’agit d’une œuvre d’amitié et non d’une formation doctrinale.

A propos d’amitié, Jean Vanier fit en ses débuts une thèse sur Aristote, qui l’a sans doute aidé pour être réaliste dans tous les sens du terme, mais qui a développé en lui cette capacité à être « l’ami » de tous1 : cette notion ô combien importante pour le Philosophe n’est plus une notion dans la vie de cet homme, mais un véritable programme d’existence. « Programme » non pensé à priori, mais provoqué par le cri de ces pauvres. Il impressionne parce qu’il est le « fondateur », il est immense, intelligent, beau parleur, mais son œuvre d’amitié le rend aussi abordable que le sont vos amis…

Il n’a pas fondé que l’Arche, mais aussi Foi et lumière, avec Marie-Hélène Matthieu : bouleversés tous deux par les humiliations subies par une famille avec des enfants handicapés, ils se lancent un beau jour dans l’organisation d’un pèlerinage à Lourdes, à Pâques 1971 … le succès de ce pèlerinage sera à l’origine de la naissance du mouvement. Certains commerçants de Lourdes –véridique !- avaient baissé leurs rideaux de fer pour se protéger des fous et pendant le pèlerinage, ils les ont progressivement relevés …

Infatigable, il fut malgré tout fatigué d’un voyage de trop en Inde en 1975, qui lui fera faire l’expérience d’être assisté plutôt qu’assistant2, expérience qui lui sera bien utile par la suite. Devenu de fait prédicateur de retraite, il tient à ce que celles-ci se passent avec les prêtres, les laïcs, les religieux, ensemble. A creuser, non ?

L’auteur (non, je ne mettrai pas de « e » à la fin) de cette biographie montre de façon très convaincante que l’œuvre de Jean Vanier est en fait une œuvre de vérité et de liberté3 : être soi-même, advenir à soi-même sans poursuivre une performance orgueilleuse ni souffrir de ses faiblesses, recevoir l’autre comme il est, et porter avec lui sa faiblesse (Rabbi Zousia disait [page 210] : quand j’arriverai là-hau, le Saint, béni soit-il, ne me demandera pas pourquoi n’as-tu pas été Moïse, il me demandera pourquoi n’as-tu pas été Zousia ?). En somme, il s’agit de ne pas avoir peur, et j’ai noté une petite erreur : l’auteur parle d’un « n’ayez pas peur avant l’heure », alors que le premier à avoir dit cette phrase est Jésus, non Jean-Paul II …

Jean Vanier faisait du texte de Saint Paul sur l’Eglise comme corps (1 Cor 12, 12-30) une lecture particulière : le « membre délicat » est la personne handicapée, de sorte que tout le corps souffre et se réjouit avec lui, plutôt que les membres « forts » considèrent les « faibles » comme une verrue ou un furoncle.

« Je ne sais que dire de Joseph. Et Joseph ne sait que dire de lui-même », a écrit Sartre dans un moment d’égarement4. Jean Vanier est un peu comme cela, lui qui aime tant ce poème : « qui suis-je ? Dérision que ce monologue ! Qui que je sois tu me connais, tu sais que je suis tiens, ô Dieu »

Notes

1 Article III, messieurs les scouts : le Scout est l’ami de tous et le frère de tout autre scout ; il est parfois des phrases qu’on ne comprend qu’après plusieurs années !

2 On désigne par le mot d’assistant celui qui, à l’Arche, accompagne les personnes handicapées que, par convention, on appelle aujourd’hui des « personnes ».

3 La vérité vous rendra libres, Jn 8,32

4 La crèche de l’Aveugle, écrit par Sartre pendant la seconde guerre mondiale à l’occasion d’une fête de Noël, splendide méditation sur Noël, que Jean-Paul a renié, ensuite, après la guerre …

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